Laïcité et vérité - Le statut de la vérité dans les enseignements

La laïcité distingue le domaine des croyances et des opinions, qui relèvent de la liberté de chacun, du domaine des connaissances rationnellement fondées qui s'imposent à tous. Cette distinction fondamentale oppose le privé au public, la liberté de la personne aux obligations du citoyen éclairé ; mais ce clivage ne s'opère pas sur la base de l'opposition entre le vrai et le faux. La vérité des croyances et des opinions n'a pas le même statut que la recherche rigoureuse de la vérité des savoirs enseignés. Ainsi la laïcité interroge nécessairement la notion de vérité.

Pour les inspecteurs et les professeurs formateurs ce colloque a été l'occasion de réfléchir à la notion de vérité dans leur discipline : que recouvre-t-elle en histoire, en mathématiques, en sciences physiques par exemple ? Est-elle de même nature dans les différentes disciplines ? Quel peut être le statut de l'erreur ? Comment éviter le piège du relatif ? Les réponses à ces questionnements devraient permettre à chaque enseignant d'affirmer l'autorité scientifique et donc la légitimité de sa discipline, mais aussi d'ouvrir le champ de sa réflexion à d'autres disciplines en les mettant en perspective les unes par rapport aux autres.

Ces réflexions entraînent nécessairement des questions sur le mode de transmission des savoirs et la façon dont est reçue la parole de l'enseignant par les élèves ; elles renvoient également aux démarches pédagogiques et aux méthodes à mettre en œuvre dans les classes pour ancrer la laïcité au cœur des enseignements.

Le colloque s'est organisé autour de deux grands axes :

Premier axe : Enseignements et Vérité

La première journée a été consacrée à une analyse centrée sur les enseignements disciplinaires. Il est en effet indispensable de mener, dans un premier temps, une réflexion de nature épistémologique sur le statut de la vérité au cœur des disciplines.

Au sein même des connaissances rationnellement définies, la recherche de la vérité ne répond pas aux mêmes paradigmes d'une discipline à l'autre. Son élaboration, sa nature et son statut épistémologique sont différents : la vérité élaborée par les sciences expérimentales est induite par l'observation, elle n'est pas de même nature que celle qui est construite par les mathématiciens. L'historien établit rigoureusement la véracité des faits, mais le discours qu'il met en œuvre, recherche d'intelligibilité, a des rapports complexes avec la vérité. Prenons deux exemples : Lorsqu'en 1609 Galilée offre son premier modèle de lunette aux sénateurs de la république de Venise, ceux-ci sont enthousiasmés par les applications militaires qu'ils devinent de ce merveilleux instrument. Mais lorsque, quelques mois plus tard, Galilée braque sa lunette vers le ciel et découvre les inégalités de la surface lunaire, les milliers d'étoiles de la Voie Lactée et les satellites de Jupiter, l'accueil est tout autre. L'instrument est certes utile pour agrandir la vision des objets terrestres, disent les savants, mais il donne du ciel des images trompeuses et pour tout dire, induit en erreur via quelque illusion optique. Le physicien ne se contente donc pas de recueillir les données de l'expérience, il les produit grâce à un appareillage ingénieux. Quel sens peut-on donner à la « vérité » du fait expérimental scientifique ?

Depuis le fameux dialogue entre Ernest Renan et Afghâni en 1883 sur l'Islam et la science au Moyen -âge, la communauté historienne s'entend sur le fait que Bagdad a été la capitale culturelle et intellectuelle des 7ème et 12ème siècle. Pour autant, depuis la fin du XIXe siècle, l'historiographie n'a cessé d'osciller, dans ses discours d'interprétation de cette vérité positive, entre deux positions contraires ; soit c'est bien la civilisation arabo-musulmane qui, en elle-même, avec l'Islam au cœur, est porteuse de cette richesse culturelle et scientifique méditerranéenne ; soit, comme le dit Renan, « faire honneur à l'islam d'Avicenne, d'Avenzoar, d'Averroès, c'est comme si l'on faisait honneur au catholicisme de Galilée. »

Ces remarques ne traduisent pas pour autant le relativisme. Au-delà des approches différentes et de la diversité des régimes de vérité, la volonté de recherche de la vérité est unificatrice.

Deuxième axe : Enseignements et laïcité

Cette seconde journée s'est articulée autour du lien qui unit laïcité, vérité et autorité des savoirs.

Au centre de la légitimité du savoir disciplinaire se trouve la notion de vérité ; celle-ci renvoie à la laïcité puisque la vérité symbolique des croyances ne peut avoir à l'école, dans une république laïque, le même statut que la vérité des savoirs disciplinaires. Dans les classes, la recherche de la vérité et de la rigueur des connaissances enseignées peut parfois contredire la vérité des convictions individuelles des élèves ou de leur famille. Le savoir enseigné est alors contesté et il devient plus difficile pour le professeur de faire reconnaître l'autorité de sa discipline. Aussi est-on légitimement conduit à interroger les liens conceptuels qui se tissent entre vérité, autorité du savoir et laïcité.

La réflexion emprunte plusieurs directions. Elle peut être poursuivie en étudiant les rapports à la vérité de l'analyse des textes littéraires, de la traduction. La traduction, jeu de miroir entre l'esprit et la lettre, qu'elle tente de réconcilier et d'unir, n'a d'autre but que de transmettre la vérité du texte, et donc l'autorité de l'auteur - auctoritas.

Le traducteur a un respect absolu des deux rives entre lesquelles il navigue. La traduction, réflexion sur les langues - de départ et d'arrivée -, est, de ce fait, l'occasion d'une réflexion sur les cultures, les civilisations et bien entendu les religions, ne serait-ce que pour vraiment comprendre les mondes qu'ouvrent les mots et opérer les choix les plus pertinents. La traduction amène notamment à percevoir dans les textes les signes du religieux propres à chaque culture et à essayer d'en rendre compte. A ce titre, elle s'inscrit dans un idéal de tolérance qui fonde celui de la laïcité.

Ces questionnements sur la notion même de vérité et ses rapports à l'autorité du savoir participent naturellement à la mise en œuvre du principe de laïcité dans les enseignements. Les conférences et tables rondes ont permis de débattre des pratiques et des démarches concrètes qui permettent l'enracinement du principe de laïcité au cœur même des enseignements :

  • Comment aider les élèves à distinguer idéologie, opinion et vérité ?
  • Comment aider les enseignants à ne pas se laisser entraîner dans des confrontations qui n'ont pas de sens, tout en respectant le droit des élèves à la libre expression ?
  • Comment concilier les savoirs enseignés et le respect des opinions et des croyances ?
  • Comment aborder dans les classes le rapport entre enseignement du fait religieux et vérité ?
  • Quelle est la relation entre l'expression de la vérité dans les enseignements et l'éducation du citoyen ?

https://eduscol.education.fr/1623/l-enseignement-des-faits-religieux