« À chacun sa morale, à chacun ses valeurs » :
Quelques pistes pour penser le relativisme en matière de morale et pour répondre à la phrase : « ils ont leurs valeurs, nous avons les nôtres » …
C’est là l’expression du relativisme : à chacun sa vérité, à chacun sa morale… la vérité, la morale seraient propres à chacun, propres à chaque groupe, société… Chacun, chaque groupe auraient les siens…
Que dire de cela ? Comment comprendre cela ?
Le relativisme est donc d’abord un fait réel : nous n’avons pas tous les mêmes valeurs, les mêmes normes sociales, les mêmes coutumes… Déjà Hérodote, au Vème siècle av JC, (Histoires, livre III, 38) rapporte que Darius demanda aux Grecs combien il faudrait les payer pour qu’ils mangent les corps de leurs pères défunts. Ils répondirent qu’aucune somme d’argent ne suffirait ! Darius demanda aux Callatiens, qui mangent leurs pères, ce qu’il faudrait les payer pour qu’ils brûlent les défunts au lieu de les manger ! Au milieu de vives exclamations, ils l’invitèrent à ne pas parler d’une chose semblable !
Nos jugements de valeur sont relatifs à ce que nous sommes, à notre histoire, à notre présent, à notre culture, à notre société ! Dire cela, c’est constater un fait, que les anthropologues, les historiens étudient ! L’on étudie, ainsi, les coutumes, les normes, les morales.
Le relativisme est la doctrine qui découle de ce constat.
Définissons le relativisme :
Le relativisme moral : Une doctrine qui nie qu’un code ait une validité universelle. Toute doctrine qui affirme l’impossibilité d’une doctrine absolue. Le relativiste conçoit que nous n’avons accès à aucune valeur absolue ! L’absolu, philosophiquement, c’est ce qui existe indépendamment de toute condition, de toute limite, de toute relation, de tout point de vue, donc de façon autonome ou séparé. Ce ne peut être que dieu.
En ce sens, le relativisme est incontestable : personne ne peut prétendre avoir accès à l’absolu !
Les choses se compliquent : dans le relativisme, le rejet de la validité universelle d’un code moral s’accompagne de la reconnaissance d’une pluralité de codes également valides !
Ainsi, le relativiste ne cherche pas à détruire l’autre à cause de ses normes et valeurs ! Il reconnaît la pluralité et la validité des pensées et modes de vie des autres hommes !
Le relativisme ne dit pas que rien ne vaut ! Une valeur économique qui serait relative (aux conditions du marché) n’en vaudrait pas rien pour autant ! Dire que la compassion soit diversement appréciée selon les cultures et les individus n’entraîne pas qu’elle soit sans valeur, ni qu’elle ne vaille pas mieux que l’indifférence ou la cruauté.
Le relativisme n’est donc pas un nihilisme qui ne trouve que le néant, et affirme que rien ne vaut. Le nihiliste se situe dans une forme d’absolutisme : il dit qu’il n’y a rien. Il affirme le RIEN.
Le relativisme n’est pas un scepticisme qui dit qu’on ne peut rien savoir de bien et du mal. Le relativiste se repose sur les normes qui sont les siennes sans prétendre qu’elles sont absolues… Il connaît bien ses normes, ses règles, il aborde ainsi la sphère morale.
Le relativisme s’intéresse à ce qui existe, et s’en suffit pour vivre… Il ne se réclame pas de valeurs absolues. Les valeurs sont nos productions, elles nous font agir, et nous agissons pour elles…
Une valeur n’est pas une vérité, elle est l’objet d’un désir. Elle n’est pas l’objet d’une connaissance. Elle n’a pas d’existence objective ou absolue. Pour aimer la justice, il n’est pas nécessaire qu’elle existe absolument… Si elle existait, elle n’aurait pas besoin de nous, et nous serions dès lors moins tenus de l’aimer. C’est parce que nous l’aimons qu’elle est bonne, et parce qu’elle n’existe pas, qu’il faut la faire !
Le philosophe Alain écrivait : « il faut croire au bien, car il n’est pas; par exemple la justice, car elle n’est pas » (81 chapitres, IV,7).
Le bien et la justice sont des idéaux. Nous les visons car nous les aimons. Nous nous en occupons car nous y tenons.
Le fanatique n’a pas le recul bienveillant du relativiste !
Le fanatique prétend saisir l’absolu, c’est par là qu’il devient terroriste.
Alain disait : « le fanatisme, ce redoutable amour de la vérité ». Le fanatique a une vérité, et n’aime que la sienne. Et détruit tout ce qui n’est pas elle. C’est un dogmatisme haineux ou violent, trop sûr de sa foi pour tolérer celle des autres. Le terrorisme en est le bout.
Voltaire disait : le fanatisme « est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend ses songes pour des réalités et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique ».
Après le constat relativiste, cherchons l’universel !
L’universel, c’est ce qui vaut pour l’univers entier, ou pour la totalité d’un ensemble donné.
Les droits de l’homme ainsi sont universels : non parce que l’univers les reconnaîtrait (l’univers n’est pas, hélas, humaniste), mais parce qu’ils valent en droit pour tout être humain.
L’universel, remarque Alain, est le lieu des pensées. Une vérité qui ne serait pas vraie pour tous, ne serait vraie pour personne.
« La pensée ne doit pas avoir d’autre chez soi que tout l’univers ; c’est là seulement qu’elle est libre et vraie. Hors de soi ! Au-dehors ! » écrivait encore Alain.
L’universel est pour l’esprit la seule véritable manière de penser : et alors même que nos coutumes sont relatives et nos sociétés diverses, plurielles, il suffit que nous nous attelions à penser, pour que ce soit l’universel qui soit notre objet.
Qu’est ce qui pourrait valoir pour tous les hommes ?
Non pas la haine de l’Autre qui détruit tout, non pas la sacralisation de la mort qui rend toute vie impossible !
La liberté, l’égalité de tous, le droit à la vie, la justice sans quoi aucune vie commune n’est possible et partageable, et l’égale dignité de chacun…
Alors, que dire à nos élèves ?
Ceci même : que le réel est divers, que certains hommes sont des héros, que d’autres sont misérables et prennent leurs croyances pour vérité et la mort pour but.
Cela ne nous dédouane pas de la quête d’un universel qui pourrait en droit mettre tous les hommes d’accord : cela nous oblige à penser au nom de la vie la plus humaine possible et pour tout homme.
Il n’y a pas de valeurs absolues, ni universelles réellement (qui existent dans la réalité : certains hommes n’aiment pas la paix, ni l’amour, ni la justice).
Mais nous voici mis en demeurent de chercher l’universel, c’est-à-dire qui vaut en droit, ce qu’exige notre raison quand elle pense pour tous !
Il est évident alors que la barbarie ne vaut pas la bienveillance, que le fanatisme ne vaut pas la paix, la justice et l’amour.
On peut donc dire : certains ont certaines valeurs, d’autres en ont d’autres : mais, sauf à n’y rien comprendre, sauf à devenir des brutes, l’on peut et l’on doit chercher, muni de sa raison, ce qui pourrait valoir pour tous les hommes et les guiderait pour leur vie commune.
Le relativisme s’arrête en chemin : il se réfère à un ordre de valeurs réel, en place. Il oublie que la valeur est un horizon vers lequel nous pourrions tous converger dans une éthique universelle, sans prétendre pourtant posséder l’absolu.
Irène BACHLER - Professeure de philosophie - Formatrice académique