Créées à l'initiative des services de renseignement, les « fiches S » ne constituent, contrairement à de nombreuses idées reçues, ni un indicateur de la dangerosité d'une personne ni un outil de suivi de la radicalisation. Le fait d’être fiché « S » n’entraîne, pour les autorités, aucune obligation de suivi ou de surveillance mais signifie qu’on a été, à un moment, soupçonné de vouloir porter atteinte aux intérêts de l’Etat.

La fiche « S » n’est en réalité qu’une des nombreuses catégories d’un fichier vieux de plus de quarante ans : le fichier des personnes recherchées (FPR) : un terme générique puisque pour certaines catégories, il ne s’agit que de surveillance.

Créé en 1969, ce fichier comporterait plus de 400 000 noms, qu’il s’agisse de mineurs en fugue, d’évadés de prison, de membres du grand banditisme, de personnes interdites par la justice de quitter le territoire, mais aussi de militants politiques ou écologistes (antinucléaires, anarchistes, etc.). Chaque catégorie possède une classification, sous la forme d’une lettre : « M » pour les mineurs en fugue, « V » pour les évadés…et « S » pour sûreté de l’Etat.

La fiche « S » est d’abord un outil d’alerte pour les forces de l’ordre, une « mise en attention » pour les services entrant en relation avec cette personne, qui peuvent ensuite faire remonter plusieurs informations utiles : le signalement d'un passage de frontières, le mode de transport utilisé par un individu, les motifs de déplacement, les informations relatives aux accompagnants, le contenu de ses bagages…

Il s'agit donc d'un mécanisme de remontée d'informations, et non d'un placement sous surveillance active d'une personne, cet outil est susceptible de concerner un grand nombre de personnes. La fiche S est donc un moyen d'investigation, à faible coût humain, et non la marque que la personne est identifiée comme une « cible » ou un « objectif » des services de renseignement.

Toutes les personnes inscrites au fichier des personnes recherchées et pour lesquelles une fiche S a été créée ne sont en effet pas des objectifs des services de renseignement, c'est-à-dire des individus faisant l'objet d'une surveillance active par ces services.

On ne peut pas arrêter quelqu’un, et encore moins l’expulser, au simple motif qu’il a une fiche « S ». Cela reviendrait à expulser toutes les personnes placées sur écoute par la justice au motif qu’elles sont sur écoute.

La catégorie « S » du fichier des personnes recherchées concerne un périmètre beaucoup plus large que les seuls individus radicalisés. Les fiches S ne sont, pour autant, pas dédiées au suivi de la radicalisation. Nombreux peuvent en effet être les motifs à l'origine de l'inscription S au FPR. Peuvent ainsi figurer au FPR, avec une fiche S, les personnes appartenant aux mouvements hooligans, aux mouvances d'ultragauche ou d'ultra-droite, etc .

Le FPR n'a en effet, par nature, aucune vocation à recenser exhaustivement les signalements de radicalisation.

Simple outil de collecte d'informations, la « fiche S » n'a, en second lieu, pas pour finalité de permettre le suivi régulier, et encore moins une surveillance, des individus entrés dans un processus de radicalisation. Elle se distingue, à cet égard, du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) qui a pour finalité de centraliser les signalements des personnes radicalisées ou présentées comme telles lors de la transmission des signalements, qu'elles soient engagées dans un processus de radicalisation ou susceptibles de prendre part au jihad ou à des activités terroristes, et d'en permettre un suivi individualisé : il s'agit de s'assurer que chaque personne signalée fasse l'objet d'une prise en charge et d'un suivi administratifs par un service.

Contrairement aux « fiches S », le FSPRT est donc structuré de manière à permettre un échange de données entre services et à faciliter le suivi des personnes signalées pour radicalisation. Chaque personne qui y est inscrite fait ainsi l'objet d'un classement, en six catégories, qui repose à la fois sur l'évaluation de son niveau de radicalisation et sur le niveau du suivi qu'il est décidé de lui affecter.

Le FSPRT, un fichier de signalement et de suivi des personnes radicalisées
Depuis la mise en place du dispositif national de lutte contre la radicalisation le 29 avril 2014, l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) assure la collecte et le suivi administratif des signalements d'individus radicalisés susceptibles de basculer dans l'action violente. Au regard de l'ampleur des signalements et afin de partager, dans un cercle spécifique et plus restreint que le FPR, les informations permettant d'assurer le suivi permanent d'un individu, l'UCLAT a créé en 2015 un fichier dédié : le Fichier de traitement des Signalements pour la Prévention de la Radicalisation à caractère Terroriste (FSPRT). Créé par décret en Conseil d'État, non publié, du 5 mars 2015, le FSPRT constitue l' outil national de recensement et de centralisation des informations des personnes engagées dans un processus de radicalisation, en vue d'en informer les autorités compétentes et d'assurer le suivi des personnes fichées. Y sont recensées les informations relatives à l'ensemble des personnes résidant sur le territoire national et signalées pour radicalisation . Le FSPRT est, à cet égard, alimenté par plusieurs vecteurs : - les signalements émis par des particuliers via le centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation, soit par la plateforme téléphonique nationale de signalement, soit par un site internet dédié (30 % des personnes fichées). Les signalements reçus dans ce cadre font l'objet d'un processus de validation par l'UCLAT avant d'être enregistrés dans le fichier ; - les signalements effectués par les services territoriaux (services de l'Éducation nationale, élus locaux, services municipaux, associations sportives, etc .), via les états-majors de sécurité de chaque préfecture (37 à 38 % des personnes fichées). Les signalements sont alors inscrits par l'UCLAT ; - les signalements effectués par les services de renseignement (30 à 32 % des personnes fichées). Le FSPRT répond à un besoin de décloisonnement et de partage de l'information entre services aux fins de suivi des personnes radicalisées. Conçu comme un outil de travail collaboratif, il comprend des informations précises sur les profils des personnes concernées (lieux de résidence, profession exercée, signes de radicalisation, velléités de départ à l'étranger, pratiques sportives à risque, etc. ) et sur les mesures de suivi mises en place, enrichies au fil du temps.