« Il est plus facile de faire la guerre que la paix » Georges Clemenceau 1919
Réfléchir sur la paix, cent ans après le Traité de Versailles
mardi 12 février 2019 à l’amphithéâtre Boucherle
de l’UFR médecine/pharmacie de l’UGA, campus de la Merci à La Tronche (38)
Ce colloque vise, à l’occasion du centenaire du Traité de Versailles qui jeta les bases de l’actuel système de règlement international des conflits (mise en place de la SDN qui inspirera directement l’ONU), à revenir sur la notion de paix, sur les conditions de la paix et la zone grise qui existe fréquemment entre la guerre et la paix.
Depuis l’avènement de l’organisation des Nations Unies, les relations internationales reposent sur un principe fondamental, héritier de la SDN : l’interdiction du recours à la force. De fait, les normes de comportement internationales des États découlant de la pratique de cette Charte impliquent la recherche systématique de moyens pacifiques pour régler les différends. Ainsi, Raymond Aron s’interrogeait-il en ce sens en 1962 dans son ouvrage Paix et guerre entre les nations : « l’âge des guerres s’achèvera-t-il en une orgie de violence ou en un apaisement progressif ? »*
À cette question, la réalité empirique des conflits contemporains apporte une réponse équivoque : si l’absence de guerres majeures, du type des deux guerres mondiales, va en effet dans le sens d’un abaissement de la conflictualité étatique, la violence récurrente a fait irruption dans les relations internationales depuis la fin de la guerre froide : les exemples récents des conflits en Afghanistan ou en Libye semblent bien promettre à la guerre un avenir certain. D’un côté, la paix constitue l’idéal au fondement du système interétatique de médiation qui renforce le poids des grandes puissances, et en particulier entre les démocraties occidentales, mais d’un autre côté, les confrontations armées subsistent et même se multiplient sous une forme circonscrite, et souvent infra-étatique.
Revenir sur le traité de Versailles permet de s’interroger sur les conditions de constitution et sur la pratique de la paix de 1919 jusqu’à nos jours. Comment fait-on la paix au sortir d’un conflit ? Qu’est-ce qu’une paix positive, qui va au-delà de l’absence de conflit ouvert ? Peut-on toujours clairement délimiter la guerre de la paix ? Ces questionnements seront abordés de façon pluridisciplinaire afin d’apporter des éclairages à la fois académiques et pratiques.
* R. Aron, Paix et Guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 2004 (8ème éd. ; 1ère éd. : 1962), p. 770.
Conférence introductive - La paix de Versailles : analyse et perspectives
Le traité de Versailles est aujourd'hui encore souvent présenté comme l'une des causes de la Seconde Guerre mondiale. Une lecture rétrospective est toujours aisée pour celles et ceux qui ont connaissance des faits advenus par la suite. Il s'agira ici d'inscrire les négociations dans le contexte de la sortie de guerre, en évoquant les positions divergentes et les tâtonnements des dirigeants de l'époque. La paix de Versailles constitue-t-elle pour autant un jalon important dans la construction du droit international naissant ? Ou ne relève-t-elle finalement que d'un compromis assez classique entre des États souverains ?
Guerre et paix : la guerre et la paix au prisme de la philosophie et du droit
Les acteurs de la table ronde
Édouard Jolly, chercheur « Théorie des conflits armés », Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM, Paris)
Josiane Tercinet-Duc, professeur émérite à l'Université Grenoble Alpes.
Animateur : Lieutenant-colonel Nicolas Fournage, délégué militaire départemental adjoint de l’Isère
L’objectif de ce temps de réflexion est d’aborder les deux notions de guerre et de paix, la tension d’une notion par rapport à l’autre, l’évolution de leur acception. Le point de vue du philosophe et du juriste est-il complémentaire ? en tension ?
Le point de vue de la philosophie politique et des relations internationales
« D'une guerre totale à une paix sans victoire : à propos de Carl Schmitt et la Première Guerre mondiale »
Dans ses écrits de philosophie du droit, Carl Schmitt rejette la dépolitisation libérale de la guerre qu'il voit portée par l’ordre juridique directement issu de la Première Guerre mondiale et du traité de Versailles, incarné par la Société des Nations. Dans ses écrits publiés après la Deuxième Guerre mondiale, Schmitt cible toujours le « diktat » de Versailles, auquel s’ajoute le Protocole de Genève de 1924. Il décèle en ces textes de droit international un changement du sens de la guerre. La criminalisation du vaincu, la responsabilité assignée à l’Allemagne et les réparations financières qui lui furent demandées marqueraient ainsi l’apparition d’un impératif de maintien de l’ordre mondial au nom d’un humanisme guerrier, en remplacement d’un ordre spatial centré sur l’Europe et son droit des gens hérité de l’époque médiévale. La criminalisation de la guerre aurait pour principale conséquence juridique de faire alors disparaître la « guerre » en tant que telle, remplacée par l’alternative entre crime d’agression et sanction de pacification. La Première Guerre mondiale est-elle à l'origine d'une telle dépolitisation de la guerre ? L'objectif de cette conférence sera d'interroger, à partir d'une lecture critique de Schmitt, la transformation de la relation entre guerre et politique provoquée par ce conflit, en soulignant particulièrement les rôles joués par l'hostilité et la désignation de l'ennemi.
Consulter le support d’Edouard Jolly (prezi en ligne)
Le point de vue du droit
Après une tentative de clarification des « mots » imposés du sujet (droit, guerre, paix) et d’autres choisis (sécurité collective), le propos s’efforce de décrire les rapports que l’on tente d’établir aux XIXème et XXème siècles entre guerre et droit (encadrer le déroulement de la guerre, interdire le recours à la force), paix et droit (organiser la sécurité collective, mette au point des réactions et des actions communes). Mais le temps présent remet en question les mots et les rapports entre eux, au point de brouiller un discours qui pouvait sembler en voie de banalisation.
Sortir de la guerre, construire la paix
Les acteurs de la table ronde
Général Marc Ollier, gouverneur militaire de Strasbourg, commandant de la 2ème brigade blindée
Odile Perrot, Consule honoraire du Kosovo, professeure à l’ILERI (Paris), chercheure associée à l’IRM-CMRP (Bordeaux)
Animatrice : Rosène Charpine, présidente AR - IHEDN Dauphiné-Savoie
Le temps de réflexion interroge : comment sortir de la guerre et mettre en place, construire la paix sur le terrain ; comment concilier accords et mise en œuvre de la paix, les tensions à gérer et construire l’acceptation des acteurs ; quel est le poids de la guerre pour sortir du conflit et entamer la conciliation de la paix ?
http://www.odileperrot.eu/
Après l’intervention de l’OTAN, déclenchée il y a bientôt 20 ans, pour imposer la paix au Kosovo, la centralité des Nations unies a été restaurée dans son rôle de consolidation de la paix. Le Conseil de sécurité a voté la mise en place d’une mission d’administration intérimaire, la MINUK, chargée de la remise en état des structures politiques, économiques et juridiques. La stratégie de peace building a donc été pensée en articulation avec la construction de la démocratie. Avec une présence internationale aux pouvoirs inédits à la barre, c’est un exercice de transfert original, axé sur des consultations électorales répétées, qui a accompagné la stabilisation du territoire. Celle-ci a été mise en œuvre par des praticiens, passeurs des normes confrontés aux réalités du terrain, qui rappellent la dimension empirique des opérations de paix. Autant institutionnalisée qu’opérationnelle, l’action internationale au Kosovo s’est ainsi faite évolutive pour consolider une paix primordiale dans le contexte régional.
Conférence de conclusion de la journée - Penser la paix aujourd’hui
Le retour de la guerre. Depuis une décennie maintenant, la tendance se confirme. Trente ans après la Guerre froide, le nombre des conflits sur la scène internationale est en augmentation. Préoccupant, ce constat appelle cependant quelques nuances. Car les guerres entre les États, les guerres dites « anciennes » ont quasiment disparu laissant place à un milieu international, plus que jamais caractérisé - malgré les soubresauts - par la coopération internationale et la paix par le droit. A l’inverse, les conflits infra-étatiques, encore dénommés conflits « sociétaux » prolifèrent, livrant les sociétés civiles des États « effondrés » à la multiplication des violences de masse, produit des guerres contemporaines dont les acteurs, comme les enjeux, « privatisés », ne sont plus que l’expression de jeux politiques patrimonialisés. Aujourd’hui, c’est sur ce terrain, produit de la crise du système international, que se joue la fabrique de la paix.
Confrontés aux logiques des guerres internes, États, organisations multilatérales et non-gouvernementales déploient, en effet, de nouvelles stratégies de sorties de conflits négociées, cherchant à renouveler les voies de la gestion et de la résolution des crises. Prévention, médiation, négociation, réconciliation… entre échecs et réussites, un bilan mitigé et des leçons à tirer.